Vincent Tourraine
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Ma sélection de magazines

#magazines #news

Heureusement que je ne compte pas le nombre de tweets qui me passent devant les yeux chaque jour, ou le nombre de pages web qui défilent sur mon écran. Mes écrans. Parfois plusieurs en même temps. Dans ce contexte, et en pleine déclin de l’information sur papier, lire un magazine me semble une occupation… intéressante. En contre-temps assumé des flux continus, mais toujours tenté par la transformation inexorable vers le numérique. Tout ça pour parler un peu de quelques magazines que j’apprécie, et sur leurs différentes approches du problème de la presse en 2014.

Humanoïde, le petit nouveau

Le numéro 2 vient à peine d’être publié, mais Humanoïde a déjà un ton bien affirmé. Il ne sort pas de nulle part, puisque c’est l’équipe de Canard PC qui a lancé ce magazine comme un Wired français « en rigolo » (expression utilisée par son rédacteur en chef). Ça parle donc de technologie et de son impact sur notre société. Pour ne pas être tenté par la couverture trop directe de l’actualité, Humanoïde est publié tous les 3 mois. On notera l’exploit de concilier un prix très abordable (5€ en kiosque) à une très faible quantité de publicités.

Humanoïde
Humanoïde

Sa marque, c’est donc le ton décalé qui a fait le succès de Canard PC. C’est un mélange de sérieux et d’humour qui réconcilie en quelque sorte le subjectif plus humain avec la rigueur professionnelle d’une rédaction classique. On apprend en s’amusant. Ça me semble d’autant plus important que les thèmes abordés sont sous-représentés dans la presse traditionnelle : la surveillance de la NSA, les industries de demain avec Elon Musk, autant de sujets qui passent mal au 20h.

Là où on atteint les limites du style, c’est que le résultat a, à mes yeux, un petit goût d’amateurisme. Des amateurs éclairés, indiscutablement compétents, mais un petit côté blog perso mis sur papier. C’est difficile à expliquer précisément, mais il me reste globalement une impression de « ça pourrait être mieux ». Je n’oublie pas qu’il s’agit pour l’instant du numéro 2, et que le projet a toutes les chances de s’améliorer par la suite.

Bonus : dans un bel élan de générosité, le premier numéro est maintenant offert dans son intégralité sur son site internet. N’hésitez-pas à le télécharger pour vous faire votre idée.

Wired, la référence

Incontournable, Wired est un mensuel américain créé en 1993. On y parle donc là-aussi essentiellement de technologie, de façon très large. L’industrie, l’art, la science, l’impact sur la vie de tous les jours. Ça paraît presque une banalité aujourd’hui, mais voilà, le magazine a grandi avec internet et la révolution numérique, donnant sa couverture à William Gibson comme à Marc Andreessen.

Wired / Platon
Wired / Platon

Ok, c’est un monument, mais est-ce à la hauteur de sa réputation ?

Certains aspects me gênent, notamment l’omniprésence des publicités (montres de luxe, alcools, compagnies aériennes… ce qui donne forcément une certaine idée des personnes visées). Le magazine n’est pas distribué directement en France, mais vous pouvez le trouver en import facilement (en Relay dans les gares, notamment), pour environ 6€. Le bon coup, c’est de s’abonner à l’édition numérique avec Newsstand pour le recevoir sur iPad, ce qui revient à moins de 2€ le numéro, sans engagement de durée.

Ce qui m’amène toutefois à un autre point qui fâche. Dès le lancement de l’iPad (rappelez-vous, grand sauveur annoncé de la Presse), Wired propose une application pour se procurer et lire le magazine sur tablettes. Mieux, il ne s’agit pas d’un simple PDF, mais d’une adaptation assez soignée, avec des mises en pages spéciales (portrait et paysage !), et un certain nombre de contenus interactifs. Rien de renversant, mais un début prometteur. Las, le succès n’étant sûrement pas à la hauteur des attentes, l’édition numérique s’est depuis progressivement rapprochée de la publication papier tout en gardant les défauts des premières versions. L’application est très instable, chaque numéro pèse plusieurs centaines de MO, et on ne peut toujours pas sélectionner le texte des articles. Ce serait à peine pire distribué sur CD-Rom. En résumé, c’est une déception. Ça remet pas en question la qualité des articles, mais « l’expérience lecteur » en est clairement dégradée, ce qui est bien dommage.

Pour le contenu, donc, on trouve quand même des choses très intéressantes, précisément à la hauteur de sa réputation. La première moitié de chaque numéro, remplie de formats courts, est vite survolée, mais les quelques features principales qui suivent sont toujours excellentes. À titre d’exemple, quand Wired décide de faire sa couverture sur les révélations d’Edward Snowden, ils vont en Russie et reviennent avec une interview passionnante d’une dizaine de pages. Difficile de faire mieux.

Tout ça concerne avant-tout l’édition américaine, mais depuis quelques années le magazine s’est décliné au Royaume-Uni, et plus récemment en Italie, au Japon et en Allemagne. Ces variantes reprennent une partie des articles de l’original, tout en proposant certains contenus exclusifs au parfum plus local. Pas en France ? Non, mais la question a été envisagée par l’éditeur, Condé Nast. Les études de marché ont tranché, à la place nous avons droit à Vanity Fair France. Tout un symbole, comme on dit.

Offscreen, la nouvelle vague

Comme son nom l’indique avec fierté, le concept d’Offscreen est de proposer une lecture uniquement au format papier, mais dédiée aux créateurs du numérique : « The people behind bits and pixels ».

Offscreen
Offscreen
Offscreen
Offscreen

Le principe n’a rien de particulièrement original, mais ce magazine indépendant brille véritablement par sa qualité, et par le soin apporté à chacun de ses numéros. Le papier, la mise en page, les photographies et bien sûr les textes ; à mes yeux Offscreen est une vraie merveille.

La prouesse est d’autant plus remarquable que ce magazine est réalisé par une seule personne : Kai Brach. Il s’entoure de contributeurs et de photographes talentueux, mais le projet repose entièrement sur lui.

Offscreen / Mark Lobo
Offscreen / Mark Lobo

Un numéro d’Offscreen coûte relativement cher, autour d’une vingtaine d’euros, et vous aurez du mal à le trouver en kiosque. Il n’y a pas de publicité classique à l’intérieur, seulement un feuillet très sobre présentant quelques sponsors. Le prix demandé me paraît amplement justifié. L’éditeur va jusqu’à publier sur son blog les comptes du magazines pour mettre en perspectives ce tarif premium. Dans un souci de transparence et de partage d’expérience, l’ensemble du processus d’édition est largement commenté sur ce blog, de la sélection du papier à la distribution des numéros.

Si vous aussi vous produisez des pixels à longueur de journée, faites-vous plaisir et essayez un numéro. Ce sera ma recommandation pour Noël.

Follow-up : fin de l’aventure pour « The Magazine »

J’avais parlé de The Magazine, une publication taillée pour le Newsstand d’Apple, et à la consultation au format numérique en général. Les débuts étaient prometteurs, hélas le projet a visiblement échoué à se faire une place. Le nombre d’abonnés déclinant lentement mais sûrement, l’éditeur a annoncé son arrêt définitif en décembre 2014, après deux ans d’existence. La qualité des articles et de la mise en œuvre n’aura pas suffit à garantir son succès.

Conclusion

Non, l’arrivée massive des tablettes n’a pas transformé la presse… pour l’instant ?

Les éditeurs continuent à imprimer des magazines (et des journaux et des livres) sur des arbres morts, tout en amorçant une conversion vers le numérique qui s’annonce plus compliquée que prévu. L’iPad n’est pas une solution miracle, et le peu de recul dont nous bénéficions aujourd’hui semble indiquer que l’information passera avant tout par les téléphones, plutôt que par les tablettes.

À terme, il me paraît évident que le numérique s’imposera comme le moyen principal de distribution, et que le papier deviendra l’exception. J’espère donc qu’Offscreen sera toujours là pour illustrer cette formidable ironie.