« She Walks in Shadows », anthologie lovecraftienne
She Walks in Shadows est un recueil de nouvelles inspirées par H. P. Lovecraft. Cet univers a déjà été étendu par de nombreux auteurs et sous toutes les formes possibles, mais cette publication se distingue en se concentrant exclusivement sur des personnages féminins. Si vous connaissez déjà l’œuvre lovecraftienne, cette perspective devrait vous intriguer. Et si vous ne connaissez pas ses récits, il s’agit d’une opportunité intéressante pour découvrir sa mythologie.

À propos de Lovecraft
Lovecraft est un auteur fascinant, à la fois omniprésent et irrémédiablement obscur. Impossible de s’intéresser au fantastique ou à l’horreur sans baigner dans son imaginaire, qui continue pourtant d’échapper au grand public. Il est partout et nulle part. Cthulhu en est sans doute la figure la plus reconnaissable, mais cet univers n’a clairement pas — en tout cas jusqu’à présent — la visibilité d’un Lord of the Rings ou A Song of Ice and Fire.
Cela fait presque cent ans (!) que les mythes et créatures issus de ses romans sont remixés par de nouveaux auteurs. Lovecraft entretenait déjà une abondante correspondance avec certains de ses collègues écrivains, les encourageant à développer son univers. Internet a évidemment donné un second souffle à cette diffusion, tout en renforçant la communauté des amateurs toujours plus nombreux.
She Walks
Les protagonistes principaux des récits de Lovecraft sont invariablement des hommes adultes, plutôt aisés, qui sombrent dans la folie au contact de forces surnaturelles. She Walks in Shadows veut montrer que son univers ne s’arrête pas là, en constituant un ensemble de nouvelles écrites exclusivement par des femmes, se concentrant sur des personnages féminins. Un parti-pris sans doute nécessaire, compte-tenu des obsessions (et donc des profondes carences) de Lovecraft et d’une grande partie de ses héritiers.
Ce projet, porté par Silvia Moreno-Garcia, s’est concrétisé grâce à une campagne de financement participatif l’année dernière. Le livre vient d’être publié ce mois-ci, avec 25 nouvelles aux titres merveilleusement exotiques et/ou inquiétants.
- Bitter Perfume, de Laura Blackwell
- Violet is the Color of Your Energy, de Nadia Bulkin
- Body to Body to Body, de Selena Chambers
- Magna Mater, de Arian Dembo
- De Deabus Minoribus Exterioris Theomagicae, de Jilly Dreadful
- Hairwork, de Gemma Files
- The Head of T’la-yub, de Nelly Geraldine García-Rosas (traduit par Silvia Moreno-Garcia)
- Bring the Moon to Me, de Amelia Gorman
- Chosen, de Lyndsey Holder
- Eight Seconds, de Pandora Hope
- Cthulhu of the Dead Sea, de Inkeri Kontro
- Turn out the Light, de Penelope Love
- The Adventurer’s Wife, de Premee Mohamed
- Notes Found in a Decommissioned Asylum, December 1961, de Sharon Mock
- The Eye of Juno, de Eugenie Mora
- Ammutseba Rising, de Ann K. Schrader
- Cypress God, de Rodopi Sesames
- Lavinia’s Wood, de Angela Slatter
- The Opera Singer, de Priya Sridhar
- Provenance, de Benjanun Sriduangkaew
- The Thing in The Cheerleading Squad, de Molly Tanzer
- Lockbox, de E. Catherine Tobler
- When She Quickens, de Mary Turzillo
- Shub-Niggurath’s Witnesses, de Valerie Valdes
- Queen of a New America, de Wendy N. Wagnercou
In Shadows
Comme promis, ces histoires font preuve d’une diversité rafraichissante. Elles ne se distinguent pas seulement par le genre des protagonistes, mais également par leurs âges et leurs occupations, et plus globalement par les sensibilités des auteurs. On y trouve par exemple des histoires centrées sur des enfants (toujours ce malaise particulier, qui s’accorde formidablement avec l’univers lovecraftien). Plus inattendues, des nouvelles que je classerais dans le YA, avec des adolescents pris entre romantisme et horreur.
J’ai par ailleurs été agréablement surpris avec quelques histoires jouant davantage sur leur forme. En particulier, De Deabus Minoribus Exterioris Theomagicae par Jilly Dreadful, qui se présente comme une série de notes académiques, ordonnées autour de l’étude d’un mystérieux manuscrit, faisant transparaître ligne après ligne la folie qui s’insinue dans une analyse aux apparences rigoureuses et méthodiques.
Enfin, le livre a la bonne idée de comporter quelques illustrations pour aider à se mettre dans l’ambiance, sans oublier sa somptueuse couverture par Sara K. Diesel.
Au-delà de Lovecraft
Il ne s’agit certainement pas d’une imitation de Lovecraft. D’une part, ces nouvelles sont beaucoup plus courtes, ce qui leur donne une dynamique différente de l’œuvre originale. À certains moments, on peut regretter le manque d’ampleur de ces nouvelles histoires, comparées par exemple aux longues progressions d’un At the Mountains of Madness. Le format est simplement différent, et sûrement plus adapté à ce genre de recueil.
Dans son ensemble, la diversité de sujet et de forme dépasse complètement l’influence de Lovecraft, et se saisit de ses mythes pour donner une vision entièrement renouvelée de la même horreur fantastique.
