Vincent Tourraine
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The Broken Earth, par N. K. Jemisin

#critique #fantasy #livre

Tous les ans, je garde un œil sur le palmarès des Hugo Awards. Je ne lis pas systématiquement tous les livres qui remportent le titre, mais comme le Hugo est considéré comme la plus haute distinction littéraire pour la science-fiction, je suis toujours curieux de savoir qui sont les auteurs récompensés. En voyant cette année que N. K. Jemisin a remporté le titre pour le deuxième livre d’une série, après l’avoir remporté l’année dernière pour le tome précédent, ma curiosité était piquée.

J’ai donc lu ces deux livres, puis le troisième et dernier tome sorti cet été. Dans l’ensemble, cette trilogie The Broken Earth mérite bien son succès.

Couvertures The Broken Earth
Couvertures The Broken Earth

« The Fifth Season »

Le premier livre m’a beaucoup surpris. Il faut dire que je l’ai commencé sans la moindre information concernant l’histoire elle-même. Première surprise, ce n’est pas vraiment de la science-fiction, plutôt de la fantasy. Pas d’elfes, pas de dragons, mais un univers unique, complexe et original, qui demande un certain temps d’adaptation.

Dans le monde de The Broken Earth, une partie de la population est douée de pouvoirs fantastiques. Les « orogenes » peuvent manipuler l’énergie de la terre. C’est particulièrement utile pour contrer les séismes qui surviennent fréquemment, mais un moment d’égarement suffit pour que ce pouvoir dévaste une ville toute entière. À cause de ce danger permanent, les orogenes sont l’objet de violentes discriminations de la part du reste de la société. Par ailleurs, des catastrophes environnementales terribles, les « cinquièmes saisons », se produisent fréquemment. Les volcans se déchaînent et une pluie de cendres recouvre la terre entière pendant des années, compromettant la survie de ses habitants. The Fifth Season raconte les événements qui vont provoquer une de ces terribles périodes.

Le récit suit trois points de vue successifs. Au premier abord, les thèmes et les personnages font penser à un mélange entre Harry Potter et X-Men. Un des personnages principaux se trouve dans une école spécialisée pour ces jeunes prodiges. Avant même de savoir contrôler leur pouvoirs, les enfants orogenes sont méprisés par une société ignorante et réactionnaire, qui préfère mettre à mort un enfant instable plutôt que de risquer un cataclysme accidentel. J’avais l’impression de lire une histoire bien connue, mais dans un contexte totalement inédit.

Le dernier acte part dans une direction assez différente un peu déstabilisante, avec notamment un groupe de pirates vivant en marge de la société. Heureusement, la fin du livre permet de conclure l’histoire assez habilement. Je préfère rester vague pour garder la surprise intacte. Disons qu’il s’agit d’une conclusion satisfaisante, sans reposer sur un cliffhanger facile, mais qui ouvrent des perspectives pour la suite.

« The Obelisk Gate »

Le milieu d’une trilogie est toujours un passage difficile, et effectivement, ce livre m’a semblé le moins marquant des trois. Le style de Jemisin est toujours là, les personnages sont toujours intéressants, mais l’histoire elle-même manque de quelque chose. Il n’y a rien de significativement nouveau, et rien n’est fondamentalement résolu.

Le premier livre se partageait entre trois points de vue différents, celui-ci se concentre sur deux personnages. Pas de grand antagoniste, pas de quête à accomplir, c’est plutôt le récit de la survie de groupes d’individus pendant une saison.

Heureusement, le livre évite les points morts, et conserve un rythme suffisamment soutenu pour maintenant l’intérêt. Je regrette simplement que ces péripéties restent relativement mineures, comparées aux autres livres de la série.

À défaut de grandes révélations, The Obelisk Gate permet d’approfondir les personnages et leur motivations, ce qui le rend indispensable pour justifier la conclusion du troisième livre et donner du poids aux enjeux.

« The Stone Sky »

Pour le troisième et dernier livre, je trouve que le récit ressemble beaucoup à celui du précédent, mais avec un objectif plus clair qui rend l’histoire plus attrayante. On retrouve les deux personnages principaux du deuxième livre. En plus de ça, on explore enfin les civilisations du passé (les « deadciv ») qui servent de toile de fond depuis le début de la série.

À ce stade-là, je ne dirais pas que le récit est très surprenant. On devine à peu près comment l’histoire va se terminer. Un final classique, mais efficace. Les personnages sont complexes, avec des motivations qui peuvent les pousser dans des directions multiples, mais toujours sensées. Les grands thèmes explorés au cours des trois livres se manifestent à nouveau. Pourtant, c’est bien le point de vue personnel des personnages principaux qui dominent cette résolution. On trouve rarement une relation mère-fille si touchante et authentique dans une œuvre de fiction. J’en oublierais presque qu’il s’agit d’un livre de fantasy.

Conclusion

On dit souvent que la science-fiction ne se soucie pas d’imaginer l’avenir, mais plutôt de commenter le présent. Avec la fantasy, les œuvres semblent trop souvent attachées au passé. The Broken Earth montre qu’on peut écrire une épopée de fantasy formidablement contemporaine, à la fois divertissante et intelligente. Ça méritait bien deux Hugos, et peut-être même un troisième.

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