Vincent Tourraine
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Le Parti de la Vérité, par Damien Leloup

#critique #livre

Le Parti de la Vérité est un roman imaginant l’ascension d’une nouvelle formation politique. Son candidat à l’élection présidentielle, Marc Delheure, veut abolir le « Système », en révélant la vérité aux français. Quelle vérité ? Toutes les vérités. Le gouvernement manipulé par les reptiliens, les technologies extra-terrestres dissimulées au grand public, etc, etc. Une blague pour beaucoup. Mais le premier tour approche, et rien ne semble arrêter la progression du Parti de la Vérité.

Couverture Le Parti de la Vérité
Couverture Le Parti de la Vérité

Le livre suit Kevin et Michaël, qui participent à la campagne, et Alice, une journaliste qui enquête sur le parti et son succès fulgurant. Kevin s’occupe des réseaux sociaux, Michaël de la stratégie numérique. À l’aide des outils marketing proposés notamment par Google et Facebook, ils arrivent à diffuser la parole de leur candidat, en ciblant très précisément (et illégalement) les messages qu’ils souhaitent amplifier. Des polémiques sur Twitter aux interventions sur YouTube, tout est bon pour faire monter Delheure dans les sondages.

« Il publiait aussi régulièrement des liens vers la page consacrée aux reptiliens sur le site de Delheure, un texte très bien foutu, et très prudent : il listait les preuves rassemblées au fil des ans par les défenseurs de la théorie, sans trancher totalement sur sa véracité -une authentique démarche scientifique et sérieuse, jugeait Kevin, qui n’était pas un spécialiste du sujet mais penchait plutôt pour l’idée que les reptiliens pouvaient être une forme spéciale d’illuminatis. »

Les enjeux progressent au fil du livre. Le début est plutôt tranquille (petit meeting politique, quelques opérations de communication), un peu banal. Mais l’histoire parvient à faire monter constamment la pression, avec des développements toujours plus significatifs, tout en conservant son approche réaliste. Au lieu de reposer sur des cliffhangers constants, on se laisse porter par les évènements, jusqu’à en oublier qu’il s’agit d’une fiction.

Le récit est entrecoupé par des interludes qui mettent en scène des électeurs, à chaque fois différents, et illustrent comment le débat politique s’insère dans la vie de tous les jours. De façon anodine, ces passages renforcent l’aspect quasi-documentaire du livre.

Damien Leloup est un journaliste spécialisé dans le numérique. Il peut ainsi écrire un personnage de journaliste plus authentique que ce qu’on trouve habituellement dans ce genre d’histoire. Mais surtout, il connaît très bien le fonctionnement et le potentiel de ces outils de marketing numérique.

Il suffisait de suivre l’actualité (bien réelle) de 2018 pour en saisir l’ampleur. La gestion de la vie privée par Facebook et Google fait l’objet de fantasmes parfois absurdes, et en même temps, ces plateformes disposent de pouvoirs très largement sous-estimés. À une époque où la politique est largement perçue comme impuissante, l’impact des réseaux sociaux sur la société est bien réel.

« On dit souvent qu’il n’y a pas de mauvaise publicité, mais Michaël commençait à se demander si la manifestation n’allait pas attirer, en plus des doux dingues qui constituaient habituellement la majorité des meetings de Delheure, une frange autrement plus radicale de complotistes. »

Le livre aborde aussi la grande ambiguïté des mouvements conspirationnistes. On ignore si celui qui partage ce genre d’informations y croit vraiment. On ignore si ceux qui les relaient y croient vraiment. Un même mème peut provoquer l’amusement, l’indignation ou l’espoir. Peu importe. Les théories du complot sont des armes formidables pour percer dans cette économie de l’attention.

Le comble dans tout ça, comme le fait bien remarquer le livre, est que l’idée de manipuler l’opinion à coups de théories complotistes ressemble elle-même… à une théorie complotiste. CQFD ?

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