Vincent Tourraine
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Agency, par William Gibson

#critique #sci-fi #livre #William Gibson

Verity vient d’être embauchée par une startup de la Silicon Valley pour tester un nouveau produit, hautement expérimental et strictement confidentiel. « Eunice » est une forme d’intelligence artificielle associée à des lunettes de réalité augmentée. Verity va devoir faire connaissance avec cette entité unique au monde, qui s’apprête à littéralement changer le futur. Le sien, et celui d’une réalité parallèle.

Agency, par William Gibson
Agency, par William Gibson

Agency prend la suite de The Peripheral. Comme pour son prédécesseur, les chapitres alternent entre deux timelines : un futur proche à San Francisco et un futur plus lointain à Londres, en 2136. Suite et prequel, à supposer que ces termes aient une signification dans un contexte de réalités alternatives.

Tous les romans de Gibson sont attendus, mais celui-ci l’était encore plus que les autres. D’abord parce que sa publication a été maintes fois repoussée. 6 ans d’attente, plus que d’habitude pour Gibson. Aussi parce qu’une adaptation pour la télévision a été annoncée, pilotée par Jonathan Nolan et Lisa Joy (à qui on doit la série Westworld), et réalisée par Vincenzo Natali (qui a longtemps travaillé sur une adaptation de Neuromancer pour le cinéma, confiée depuis à Tim Miller). Autant dire que l’on n’a pas fini d’entendre parler de The Peripheral, à ma grande joie.

Gibson avait révélé que l’histoire d’Agency se déroulerait dans un monde où Hillary Clinton est présidente, et où le Brexit n’a pas eu lieu. Un contexte intriguant, mais qui a semblé poser problème à l’auteur, commentant régulièrement sur Twitter les aléas de la présidence Trump et des événements internationaux en constante collision avec l’univers du livre. Autant d’échos qui le poussaient à revoir sa copie. Difficile d’écrire quand la réalité paraît chaque jour plus étrange que la fiction.

Au final, la géopolitique a un rôle très mineur dans Agency. On trouve néanmoins quelques délicieuses allusions à notre situation actuelle :

“So it’s earlier, there? Earlier than the county?” she asked from the kitchenette, as she plated their evening meal.
“The year after the Americans elected their first female president.”
“Gonzalez?”
“No. They elected theirs earlier, in 2016. And the Brexit vote was to remain. May I help you?”
“Have a look in at Thomas, please.”
He crossed to the nursery door, saw Thomas curled in his crib, surrounded by a soothing miniature auroral display. “He’s fine.”
“Are people happier there?” she asked. “Happier than they were here, then?”
“I gather they aren’t, particularly.”

Le livre s’attarde davantage sur l’aspect tech, et par extension, sur les dérives de la Silicon Valley. Le casque de réalité augmentée pourrait se concrétiser dans notre monde, et l’intelligence artificielle d’Eunice n’est pas complètement inimaginable, au moins sur certains aspects. Les drones, sous différentes formes, jouent également un rôle important, avec plusieurs références aux célèbres robots de Boston Dynamics. Un tour d’horizon pertinent de la technologie en 2020.

Verity est présentée comme une « app whisperer », « natural-born super-user ». Une perspective potentiellement intéressante, mais hélas largement ignorée une fois passée l’introduction.

Et bien sûr, il y a le monde du futur, avec ses voitures volantes, ses villes peuplées de robots, et ses oligarques utilisant les réalités alternatives comme terrains de jeu.

Tout pour combler l’amateur de science-fiction, mais rien qui ne soit déjà présent dans la bibliographie de Gibson. La réalité augmentée suit les traces de la réalité virtuelle présente depuis Neuromancer, en passant par Virtual Light. L’intelligence artificielle, elle aussi présente depuis ses premiers romans, continue de jouer ce rôle quasi-mystique, avec assez peu d’évolution depuis les années 80. Le monde du futur suit sagement celui de The Peripheral.

Rien de surprenant pour une suite, mais le moment peut-être le plus excitant du premier livre, l’irruption des protagonistes du futur dans le présent par le biais d’avatars robotisés, est rejoué ici, et n’intervient qu’à la moitié du livre. La séquence est toujours aussi réjouissante, mais on ne peut pas dire qu’Agency apporte grand chose de nouveau de ce côté.

“An interface device,” Stets said, producing from behind the lilac couch a large carrying case, in rigid black foam, which he placed on the minibar, beside the drone’s charger. It hadn’t looked very heavy. He unfastened latches that reminded Verity of the drones’ Pelican case, and lifted top and sides away as one, revealing a white, featurelessly feminine foam head in a black cycling helmet. Studded with a variety of black components, it looked like a not-very-enthusiastic cyberpunk cosplay accessory.
“A neural cut-out controller,” Wilf said. “I’m wearing one now. Ash is controlling the drone through it.”

L’histoire est finalement très typique des romans de Gibson. Les péripéties se suivent rapidement, sans enjeux vraiment significatifs, et mènent à une résolution plutôt précipitée et peu satisfaisante. Ça peut sembler une critique sévère, mais je pense que les romans de Gibson n’ont jamais brillé par leur intrigue. Celui-ci n’est pas différent. Mes attentes étaient (trop) grandes pour ce livre, ce qui conduit à une inévitable déception.

Mais sa prose est toujours aussi maîtrisée. Ses dialogues sont particulièrement brillants, à la fois profonds et familiers. Son style est unique, et sa perspicacité n’est plus à prouver. Il n’aime pas beaucoup être présenté comme le « prophète du cyberpunk », mais cette réputation n’en est pas moins méritée.

Gibson a récemment confirmé qu’il envisageait d’écrire un troisième roman avec les mêmes personnages. Rien de bien surprenant puisqu’il a l’habitude d’écrire en trilogies. Je l’attends déjà avec la plus grande impatience.

Le titre du livre, « agency » (difficile à traduire en français, puisqu’il s’agit principalement du sens de capacité d’un individu à agir) encapsule joliment plusieurs thèmes du roman, et offre une réflexion intéressante sur le comportement des personnages. La technologie dicte-t-elle nos actions, où sommes-nous augmentés par son usage ? Le libre arbitre, l’indépendance, la place de l’individu dans la société. Des réflexions d’autant plus intéressantes qu’on peut les étendre aux actions de l’auteur. Voire même à celles du lecteur.